billet.   

Foi et Culture

(interview)
Placide Mandona - Est-ce possible de concilier la foi et nos cultures ?
Armel Duteil - C’est une grande question à laquelle il n’est pas possible de répondre en quelques lignes. C’est ce qu’on appelle dans l’Eglise l’inculturation. Il s’agit d’enraciner la Foi dans chacune de nos cultures et d’enrichir notre Foi par les valeurs de chaque culture. On parle beaucoup de l’inculturation aujourd’hui, mais il faut bien reconnaître qu’elle se limite souvent à la liturgie et aux processions d’offertoire. Alors qu’il s’agit de vivre sa Foi dans sa culture, dans la vie de tous les jours, de construire les communautés chrétiennes sur le modèle et la base des communautés traditionnelles de villages, d’animer les réunions de communauté selon le schéma des rencontres familiales, et surtout de voir comment christianiser nos coutumes à partir de nos valeurs. C’est chercher à construire notre société dans l’esprit de l’Evangile, en voyant en même temps comment vivre nos valeurs traditionnelles dans le monde moderne, à la manière de Jésus-Christ Lui-même. Car Jésus a été vraiment juif, profondément enraciné dans son peuple, sa culture et sa religion. Mais il est clair que la plupart des Eglises africaines sont encore très marquées, et même dominées par l’Occident. Ainsi dans le diocèse où je travaille, on continue de célébrer les sacrements selon le rituel français, sans aucune adaptation. C’est incroyable ! Et en ville, presque toutes les messes sont célébrées en français, alors qu’il y a une langue populaire, qui n’est pas la langue maternelle des différents chrétiens, mais que pratiquement tous comprennent, le ouolof. Les traditions liturgiques ont été faites et approuvées, mais on ne les utilise pas. Et l’une de mes grandes souffrances, c’est de voir que nos jeunes confrères qui viennent travailler au Sénégal n’apprennent ni le ouolof ni les autres langues locales. Contrairement aux anciens missionnaires. C’est absolument inadmissible, et un vrai retour en arrière.

C’est tout à fait possible de concilier la foi et nos cultures. Encore faut-il le vouloir et faire les efforts nécessaires pour cela. Pour ma part, partout où j’ai travaillé, j’ai toujours cherché à intégrer les rites et les symboles de la culture locale dans nos célébrations, malgré parfois les réticences de certains confrères et de chrétiens occidentalisés…ou prétendant l’être.



Placide Mandona -Quel est le degré de votre foi ?
Armel Duteil - C’est Dieu qui le sait. Peut-être que les autres peuvent aussi en juger d’une certaine manière, à partir de ma façon de vivre. Je réponds donc comme Jeanne d’arc : «  si j’ai la Foi, que Dieu m’y garde; si je ne l’ai pas, qu’il m’y mette ». Mais je pense que la Foi ne se mesure pas par des degrés, c’est un chemin et une vie avec le Christ, avec ses hauts et ses bas, ses avancées et ses retours en arrière, ses assurances et ses doutes. On n’a pas la foi comme on achète une chemise !
Placide Mandona - Foi et culture traditionnelle ou religions traditionnelles africaines, est-ce possible ?
Armel Duteil - C’est sûr que si je suis chrétien, je respecte mes ancêtres, mais que mon seul Sauveur c’est Jésus-Christ. Je respecte la religion traditionnelle, parce que c’est un moyen d’aller vers Dieu. Mais maintenant nous sommes dans la Nouvelle Alliance. Et le sacrifice qui nous sauve, ce ne sont pas les sacrifices traditionnels mais le sacrifice de Jésus-Christ.

Mais cela ne m’empêche pas de vivre ma foi dans ma culture bretonne des gens des îles, transformée et enrichie par mes partages avec les différentes cultures africaines, dans lesquelles j’ai eu la grâce de vivre. Et j’essaie d’aider les chrétiens dont j’ai la responsabilité à vivre leur foi enracinée dans leur culture traditionnelle, mais ouverte aux autres cultures et d’une façon dynamique adaptée au monde actuel.
Placide Mandona - Qu’y a –il de meilleur en Dieu ?
Armel Duteil - Ce qu’il y a de meilleur en Dieu, c’est qu’il est Dieu ! C’est son amour total et inconditionnel. Et cet amour Il nous l’a fait connaître par sa Parole aux prophètes d’abord, et totalement dans son Fils Jésus ensuite (Hébreux 1,1). Et cet amour nous le recevonsen particulier par les sacrements dans l’Eglise.
Placide Mandona - Comment vivez-vous la transmission de la parole de Dieu en Afrique et spécialement à Pikine ?
Armel Duteil - Je ne peux pas parler de la transmission de le Parole de Dieu en Afrique en général, bien qu’ayant travaillé dans plusieurs pays africains. Simplement, j’ai toujours cherché à la transmettre dans la langue locale. Ce qui m’a amené à apprendre plusieurs langues africaines. Pour cela, j’ai tenu à recevoir dès le début de mon sacerdoce une formation en linguistique africaine. Au Congo nous avons souvent transmis la Parole de Dieu par les contes et les proverbes traditionnels. Et aussi par les chants dans les scholas populaires : pas seulement à la messe, mais dans l’animation des cérémonies traditionnelles de naissance, de mariage, de décès et de levées de deuil, etc….Et ces chants étaient chantés au travail, à la maison et sur la route ce qui a été un grand moyen de transmission de la Parole de Dieu. Nous avions des gens habitués à improviser des chants,et qui composaient des chants sur l’Evangile de chaque dimanche. Il est sûr que la transmission de la Parole de Dieu est plus facile en secteur rural où généralement tous les gens parlent la même langue et partagent la même culture.

Où je suis actuellement à Pikine, secteur de grande banlieue, on retrouve des gens de nombreuses ethnies et de nombreux pays, souvent coupés de leur culture et très marqués par les influences extérieures qu’ils n’ont pas le pouvoir de contrôler et que souvent ils ne comprennent même pas. Car ils ne connaissent pas la situation et le contexte dans lequel les émissions sont produites à la radio et à la télévision, et ils ne peuvent donc pas comprendre ces messages des artistes et des chanteurs étrangers.Dans ces conditions, il est difficile de transmettre la parole de Dieu d’une façon claire et compréhensible par les gens. De plus, l’enseignement se fait presque toujours en français, une langue que beaucoup de gens ne possèdent pas bien ou même pas du tout. Il est alors très difficile d’assurer une formation chrétienne en profondeur. A Pikine, nous essayons d’utiliser au maximum le wolof qui, s’il n’est pas la langue maternelle des gens, est compris par la plupart de la population. Et pour la catéchèse, elle se fait dans plusieurs langues. Et les chorales sont très vivantes, et elles chantent souvent dans les langues locales. De même, on a maintenant de nombreux artistes chrétiens qui cherchent à transmettre la Parole de Dieu.

C’est tout le problème de l’inculturation : Comment vivre l’évangile en vérité dans sa propre culture dans ces conditions ? Comment vivre les valeurs traditionnelles dans le monde actuel en ville, dans une société marquée par la modernité et souvent colonisée par l’étranger ? Que prendre et que refuser des apports extérieurs, et comment les intégrer dans notre vie et dans notre culture ? Nous n’avons pas de solutions toute faites pour cela. Il nous faut chercher en tâtonnant.

Ensuite, nous devons transformer notre façon de vivre à cause de l’Evangile, sans pour autant copier l’occident ou l’Amérique. Dans la plupart des ethnies africaines, il existe de nombreux rites et symboles et de grandes richesses culturelles, en particulier au moment de la naissance, du passage à l’âge adulte (initiation), du mariage et de la mort. Mais nous n’avons pas de rituel adapté à la culture négro africaine. Je parle ici des valeurs traditionnelles, bien sûr, et non pas des coutumes qui écrasent et enferment les personnes, comme la polygamie, le maraboutage et la sorcellerie, ou le fatalisme qui sont à rejeter absolument. Mais encore faut-il voir comment le faire d’une façon positive, et quelle réflexion apporter pour que ce soit une véritable libération et que les gens ne se sentent pas perdus, et sans bases sur lesquelles construire leur vie.A Pikine, nous avonscomposé avec les catéchistes et les responsables de communautés, des schémas de célébrations pour ces étapes de la vieen y intégrant des rites et des symboles traditionnels : à la naissance (sans attendre le baptême),à l’adolescence (le passage à l’âge adulte, sans attendre la confirmation), le mariage traditionnel (sans attendre de pouvoir célébrer le mariage sacramentel) , le deuil (au moment des enterrements), tout en luttant contre les conditions de vie souvent difficiles faites aux veuves et aux orphelins et les autres coutumes païennes, et aussi contre les dépenses excessives dans ces différentes occasions.

J’ai vécu une recherche très intéressante dans ce sens quand j’étais curé de Tambacounda au Sénégal oriental, où nous avions introduit certains rites de l‘initiation bassari dans la célébration des étapes du baptême. Nous avons repris la même recherche à Mongo dans la Guinée forestière, dans la culture kissi. En cherchant aussi à organiser nos communautés chrétiennes de village (CCB) sur la base de l’organisation traditionnelle de la famille et du village. Mais ce n’est pas simple : Que faut-il garder de la religion traditionnelle, des coutumes et des valeurs ? Et comment les christianiser, tout en les respectant ?

Par exemple, les évêques d’Afrique ont défini l’Eglise comme la Famille de Dieu. Mais quelles choses seraient à garder, et quels comportements rejeter ? Comment vivre les richesses de la famille traditionnelle africaine, en les christianisant ? Comment les vivre dans le monde actuel avec tous les bouleversements que cela implique ? Et le vivre dans les deux sens : évangéliser notre culture et vivre l’évangile avec les richesses de notre culture.

Père Armel Duteil




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